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Chapitre XVII
Salerne

A bord de l’Emma, golfe de Salerne, 20 août, à midi.

Nous avons, depuis deux heures, jeté l'ancre devant Salerne.
Pas encore de Garibaldi ; mais, s'il n'est pas arrivé, je puis vous répondre qu'il est attendu.
Les royaux passent à Salerne et filent en Calabre sans s'arrêter ; deux ou trois compagnies seulement occupent la ville.
La Garde nationale s'est organisée ; elle compte sept compagnies commandées par des chefs patriotes élus par leurs concitoyens.
On la dit bien armée.
Je vais avoir des nouvelles sûres : mon capitaine et frère Jean sont descendus à terre ; l'évêque de Salerne est né à Marsala et se trouve être le compatriote et le condisciple de frère Jean.
On dit aussi que les jeunes gens du séminaire se sont révoltés, ont chassé leurs maîtres et se sont armés ; si c'est vrai, je passe des bas rouges et me mets à leur tête.
J'expédie un de mes secrétaires à Naples pour avoir des nouvelles de la capitale et me ramener un ami avec lequel je puisse faire de la propagande sur la route de Salerne à Naples.
Frère Jean revient triomphant ; au lieu du martyre auquel il s'attendait, il a eu une ovation ; il est suivi de barques chargées à couler.
Trente Salernitains viennent boire à la santé de Garibaldi dans les verres à champagne du roi de Naples.
Il n'y a plus à Salerne, ni police, ni douane, ni garnison.
La police et la douane sont mortes de leur belle mort ; – cela se dit, mais, au fait, ce doit être une vilaine mort que la mort de la police et de la douane.
Quant à la garnison, moins deux compagnies, elle est partie pour Potenza, qui s'est révoltée et qui a tué deux ou trois gendarmes.
La Basilicate, comme vous voyez, suit l'exemple de la Calabre ; elle marche. Vienne Garibaldi, et les cris de joie que l'on poussera à sa vue retentiront jusqu'à Naples. Je mets un matelot en vigie dans les haubans, tant je suis sûr que Garibaldi est à cette heure dans cette grande ornière liquide qui conduit de Milazzo à Salerne.

Voici du nouveau. Le bruit se répand que Garibaldi est à mon bord ; toutes les barques du port glissent vers l’Emma comme une bande d'oiseaux de mer ; les femmes se mettent de la partie ; l’Emma est complètement entourée. Je suis obligé de donner ma parole d'honneur que je suis seul.
Les Salernitains me croient ; mais le général Scotti n'est pas si crédule : il fait sortir toute la garnison et la range en bataille dans un demi-cercle de deux kilomètres, de l'intendance au chemin de fer. Nous sommes à demi portée de fusil les uns des autres.
Alors de grands cris éclatent dans la ville.
« Vive Garibaldi ! vive Victor-Emmanuel ! »
En même temps, une députation de la municipalité s'avance vers l’Emma et proteste de son unanimité à la cause de l'Italie ! Salerne s'illumine comme un palais de fée.
Le général Romano illumine sa maison comme les autres ; l'intendance seule, occupée par les troupes, reste obscure. Je tire alors de ma soute aux poudres des feux de Bengale et des chandelles romaines aux trois couleurs, et l’Emma s'illumine à son tour, aux grands applaudissements de la ville.
La fête dure jusqu'à minuit ; on a fait transporter à bord de l’Emma des glaces et des gâteaux ; j'ai tiré de la cave le champagne de Folliet-Louis et de Greno ; ce sont des cris de « Vive l'Italie ! vive Garibaldi ! » à assourdir les soldats napolitains, qui nous regardent tout ébahis et qui nous écoutent tout effarés.
Mon secrétaire arrive à onze heures par le dernier convoi. Voici les nouvelles qu'il apporte :
Une dépêche télégraphique en date d'hier a annoncé le débarquement de Garibaldi ou de Medici à Reggio.
La dépêche se trompe ; ce n'est ni Garibaldi ni Medici qui sont débarqués : c'est Bixio. Medici et Garibaldi, César et Labiénus, sont ailleurs.
Une dépêche arrivée aujourd'hui à quatre heures annonce que l'on se bat depuis dix heures du matin au cap dell'Armi, c'est-à-dire près de Reggio.
Le général Florès écrit de Bari que, le 18, les habitants de Proggia et les cent vingt dragons à cheval de la garnison ont crié : « Vive Victor-Emmanuel ! » Il a été envoyé contre eux deux compagnies du 13ème ; elles se sont réunies aux insurgés.
Le général Salazar, commandant la station maritime de Messine, écrit de son côté, au gouvernement, que Garibaldi vient de recevoir le bateau à vapeur Queen of England, avec dix-huit canons et dix-huit mille carabines rayées.
Il demande un prompt secours.
L'ordre est donné de lui envoyer la frégate la Borbona : mais, au moment de chauffer, les mécaniciens ont disparu.
Vous le voyez, de tous côtés l'oeuvre de la chute bourbonienne s'accomplit.
Maintenant, voici les nouvelles officielles de Potenza :

Au comité unitaire national de Naples.
« Potenza, 18 août 1860.

« Ce matin, 18, la gendarmerie, guidée par le capitaine Castagna, au nombre d'environ quatre cents hommes, s'amassait sur la place de Potenza ; le peuple obligeait les gendarmes à crier : "Vive Garibaldi ! vive l'unité de l'Italie !"
« Ceux qui étaient au premier rang répondirent d'abord à ce cri ; mais le capitaine cria : « Vive le roi ! mort à la nation !" et commanda le feu sur le peuple et sur la Garde nationale. Celle-ci, quoique peu nombreuse, répondit à l'instant même au feu, et, avec un admirable courage, força la gendarmerie à fuir, ce qu'elle fit en laissant sur le champ de bataille sept morts, trois blesses et quinze prisonniers. Le reste des gendarmes se rend peu à peu.
« Dans l'escarmouche, trois gardes nationaux ont été légèrement blessés, et parmi ceux-ci se trouve, frappé à la tempe, le brave Dominico Alcesta. Pendant le combat, quelques gendarmes sont entrés dans la maison d'une pauvre femme du peuple, ont tué un enfant et blessé le père et la mère.
« A cette heure, nous sommes en pleine révolution ; et les masses affluent de tous les côtés de la province.
« Ce soir, on proclamera le gouvernement provisoire.
« Et cependant les armes ne sont pas encore arrivées ; comment expliquer un si coupable retard, je ne dis pas de votre part, mais de la part de ceux qui nous ont fait tant de promesses ? Mais, par bonheur, les fusils de chasse, les poignards, les couteaux, les clous sont des armes pour un peuple qui veut véritablement conquérir sa liberté.
« Et vous, pendant ce temps, que faites-vous à Naples ? que fait-on à Avellino, dans les Abruzzes, à Campo-Basso, à Salerne ? Soulevez-vous, imitez-nous, les moments sont suprêmes : au nom de l'Italie, aux armes !

« Signé : Colonel Boldoni.
                    « Magnana, avocat. »

21 août, cinq heures du matin.

En me réveillant, je vois les quais de Salerne changés en un véritable bivac ; quatre mille Bavarois et Croates sont arrivés pendant la nuit.
Douze pièces de canon, rangées en batterie, devant l'intendance, me font l'honneur de tourner leurs gueules de mon côté.
Si vous étiez ici, comme on me faisait l'honneur de le croire hier, mon illustre ami, ces quatre mille hommes vous présenteraient ou vous rendraient les armes, et ces douze pièces de canon chanteraient un Te Deum de feu pour le roi Victor-Emmanuel.

Ces quatre mille Bavarois et Croates sont destinés à étouffer l'insurrection de Potenza ; seulement, ils resteront à Salerne tant que j'y resterai.
J'y resterai le temps de donner aux messagers que nous expédions dans la montagne le loisir de prévenir nos hommes.
Dix mille picciotti n'attendent qu'un signal ; ce signal, tandis que les Bavarois et les Croates me gardent à vue, ils vont le recevoir. Il y a cent à parier contre un que la colonne n'arrivera pas à sa destination.
Je partirai vers deux heures de l'après-midi pour Naples.

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