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Chapitre XIV
Ce qu'on voit chez madame Tussaud II

Qu'on ne donne point une mauvaise interprétation à ces deux mots à gauche.
J'allais voir le musée de madame Tussaud, et Alexandre en faisait fi... Or, c'est précisément dans ce musée de madame Tussaud que je veux vous prier de me suivre, chers lecteurs. Une autre fois, je vous raconterai peut-être tout au long mes promenades dans Londres et mes excursions à Epsom et à Manchester.
Heureusement pour vous, vous ne vous rappelez probablement pas le boulevard du Temple tel que le chanta le pauvre Désaugiers. Eh bien, sur le boulevard du Temple s'élevait le salon de Curtius, où l'on m'a conduit quand j'étais enfant et où je suis retourné jeune homme ; j'avouerai que toutes ces célébrités en cire, depuis la chaste Suzanne jusqu'à Papavoine, avec leurs yeux fixes et leurs vêtements toujours trop larges aux biceps et trop étroits aux coudes, ont laissé un profond souvenir dans mon esprit ; on les retrouve encore, il est vrai, aux foires de province, mais isolées, éparpillées, solitaires et tristes de leur solitude. Qu'il y a loin de là à cette brillante réunion dont elles faisaient partie du temps du café de l'Epi-Scié et du théâtre de Bobèche !
Quand je pense que c'est sur ce même boulevard de Temple que j'ai rencontré Hugo pour la première fois dans la baraque d'un homme qui montrait un squelette de sirène, dont il prétendait avoir refusé la veille vingt-cinq mille francs du gouvernement français !
Eh bien, le musée de madame Tussaud, c'est le royaume des figures de cire, présidé, comme la bataille d'Austerlitz, par les trois empereurs : l'empereur François, l'empereur Alexandre, l'empereur Napoléon. Tout souverain proscrit, tout grand criminel égaré, toute célébrité qui craint de fondre au grand soleil peut aller frapper à la porte de madame Tussaud ; elle pratique l'hospitalité sur une grande échelle.
Au reste, quand la montagne ne vient pas à madame Tussaud, madame Tussaud n'est pas plus fière que Mahomet, elle va à la montagne. Son musée est non seulement le musée des hommes, mais encore celui des choses. Elle a acheté les ordres de lord Wellington après sa mort ; elle a acheté la voiture de Napoléon après Waterloo ; elle a acheté la chemise de Henri IV après la révolution de 1830 ; elle a acheté jusqu'à la guillotine de Louis XVI !
Aussi son musée est-il divisé en deux exhibitions bien distinctes : celle que tout le monde voit moyennant deux schellings, et celle qu'on ne voit que moyennant quatre schellings.
Celle-ci est insidieusement appelée le musée des horreurs, titre qui, vous le comprenez bien, pique vivement la curiosité des visiteurs, à qui l'on n'a garde de dire que, pour leurs deux premiers schellings, ils ne verront que des choses agréables, comme Wellington sur son lit de parade, Tom Pouce en costume de général et Henri VIII et ses six femmes.
Si bien qu'une fois engrené de deux schellings, trouvant insuffisantes les choses agréables que l'on a vues on se décide, moyennant deux autres schellings, à voir les horreurs.
Le même motif qui a porté madame Tussaud à mettre lord Wellington sur son lit de parade au nombre des choses agréables, l'a portée à mettre Napoléon sur son lit de camp au nombre des horreurs.
Décidément, madame Tussaud cache là-dessous quelque épigramme historique.
Il va sans dire que je sacrifiai mes quatre schellings ; deux pour voir les choses agréables, deux pour voir les horreurs.
Mais j'ai toujours désiré avoir une guillotine au repos, à l'état inoffensif.
J'ai conduit dans mes livres tant de gens à l'échafaud, que c'est bien le moins que je sache comment un échafaud est fait. J'en ai vu en gravure, c'est vrai ; mais la gravure laisse un souvenir bien vague.
J'étais donc tiré, malgré moi, vers la guillotine de madame Tussaud, ou plutôt vers la guillotine de M. Sanson, comme le dit une inscription clouée à la muraille.
Eh bien, je vous jure que c'est une mécanique fort ingénieuse, et dont le citoyen Guillotin avait le droit d'être fier.
Celle de madame Tussaud ne laisse rien à désirer. Elle est complète : le panier attend à droite, la bascule est baissée, le couperet est levé ; il n'y manque absolument que le condamné.
Dernièrement, cette guillotine toute prête tenta un Parisien. Il voulut voir comment on était sur cette bascule, et le cou pris dans cette lucarne : en conséquence, il releva la partie mobile de la lucarne, se coucha sur la bascule, passa sa tête par la lunette, et, uns fois là, abaissa la partie supérieure de la lucarne au niveau de son cou. Il croyait qu'une fois la lucarne abaissée, il n'y avait plus qu'à la relever, et à retirer la tète en arrière comme fait un colimaçon qui veut rentrer dans sa coquille.
Le Parisien était dans l'erreur.
Une fois la tête prise dans la lucarne, la tête doit y rester jusqu'à ce qu'elle tombe. La guillotine est une chose sérieuse.
Un petit ressort qui s'échappe sournoisement de lui même fixe le dessus de la lucarne, et, comme ce ressort n'est connu que de l'exécuteur, le condamné, parvînt-il à délier ses mains, ne parviendrait pas à faire jouer le ressort.
Il fallait tout prévoir !
Or, notre Parisien, après être resté cinq minutes sur sa bascule, la tête à la lucarne, voyant que l'on ne voyait rien, que le son qui garnit le fond du panier, et que cette vue était peu variée, essaya de relever le dessus de la lucarne pour retirer sa tête, continuer sa visite, remonter dans son cab et rentrer à son hôtel.
Il se figurait l'effet qu'il ferait en France, en racontant à table d'hôte qu'il avait essayé la guillotine de Louis XVI et qu'il avait passé sa tête par la même lucarne où le petit-fils de saint Louis avait passé la sienne.
Seulement, il ajouterait :
- Mais, moi, pas bête, je l'ai retirée !
Il avait déjà fait sa phrase, comme vous voyez.
Malheureusement, il avait compté sans son hôte.
Quand il voulut relever la lucarne, la lucarne se refusa à tout mouvement.
Le Parisien insista : la lucarne tint bon.
Il comprit qu'il y avait un ressort et chercha le ressort.
Mais, tout à coup, il lui vint une idée qui lui fit pousser une goutte de sueur à chacun de ses cheveux : c'est qu'il pouvait se tromper de ressort et lâcher celui qui, au lieu de faire relever la lucarne, ferait tomber le, couteau.
Alors il se serait décapité tout seul, sans avoir la moindre envie de suicide, sans compter qu'il ne pourrait plus raconter, dans ce monde-ci du moins, qu'il avait essayé la guillotine de Louis XVI.
Or, il lui semblait que, dans l'autre, le récit ne ferait aucun effet.
Le Parisien, imbu de cette idée qu'il pourrait se tromper de ressort, pensa qu'il n'avait rien de mieux à faire que d'appeler.
Il appela.
On ne vint point.
Il cria.
Les visiteurs, entendant ses cris, s'approchèrent.
- Que diable fait là cet homme ? demanda un de ces bons Londrins que Punch désigne sous le nom de cockneys.
- Oh ! lui répondit un autre visiteur d'un esprit plus actif, cette bonne madame Tussaud ne sait qu'inventer pour la satisfaction de son public. Elle a pensé que la guillotine sans patient était dénuée d'intérêt, et elle a loué un brave jeune homme qui fait semblant d'être criminel ; seulement, comme on ne guillotine pas à Londres, elle a poussé la vérité historique jusqu'à louer un Français pour représenter le patient.
- A l'aide ! au secours ! criait le Parisien.
- Très bien, très bien, jeune homme ? répondait l'Anglais ; vous jouez merveilleusement votre rôle ; bravo !
- Mais, monsieur, criait le patient, ce n'est pas un rôle, je vous jure. Je suis là par accident.
- Oh ! oui, bravo ! c'est comme cela qu'il faut continuer.
- Que dit-il ? demandaient les autres visiteurs qui s'amassaient en foule.
- C'est une leçon qu'il répète ; seulement, il la répète bien.
- Messieurs, messieurs, au nom du ciel, criait le Parisien d'une voix qui allait s'affaiblissant ; messieurs ; délivrez-moi ; mais faites bien attention, ne vous trompez pas de ressort ! Messieurs, oubliez que vous êtes Anglais et que je suis Français : tous les hommes sont frères... Messieurs, à l'aide ! au secours !
- Oh ! bravo ! bravo ! répétait l'Anglais.
Et chacun d'applaudir et de battre des mains.
Enfin, les applaudissements, les bravos et les battements de mains firent si grand bruit, qu'un des employés de l'établissement accourut, fendit la foule et pénétra jusqu'au captif, auquel il demanda à quelle sorte de plaisanterie il se livrait.
Au premier mot qu'il entendit, le patient comprit qu'il lui arrivait du secours.
Il parlait un peu anglais ; l'employé de l'établissement parlait un peu français.
Les deux interlocuteurs finirent par s'entendre.
L'employé commença par expliquer la chose aux curieux, qui ne voulaient pas, à toute force, qu'on rendit le patient à la liberté.
De son côté, le patient criait qu'on le délivrât sans retard, à l'instant même.
- Monsieur, lui dit l'employé, un peu de patience ; un de nos visiteurs est allé chercher sa femme, qui est restée près du berceau du roi de Rome ; je vous demande de demeurer jusqu'à ce que cette dame vous ait vu ; quelques secondes de plus ou de moins ne sont pas une affaire.
- Mais je ne veux pas rester une seconde de plus, moi ! je ne suis pas ici pour amuser votre public : je suis ici comme les autres, pour mon argent.
- Patientez, monsieur, patientez.
- Mais cela vous est bien aise à dire, vous.. J'étouffe, j'étouffe. Je vais avoir un coup de sang. A moi ! je... j'ai... ouf !
- Où est-il ? où est-il ? demandait la femme en fendant la foule.
- Le voilà, dit le mari.
- Tu m'avais dit qu'il criait ; pourquoi ne crie-t-il plus ? Je veux qu'il crie pour moi comme pour les autres.
- Vous entendez, monsieur, dit l'employé traduisant le désir de sa compatriote ; madame vous prie de crier.
Mais le patient ne soufflait pas.
- Vous êtes Français, monsieur, et, en votre qualité de Français, vous êtes trop galant pour refuser quelque chose à une dame. Monsieur, deux ou trois cris, voilà tout.
Non seulement le patient ne criait plus, mais il ne bougeait même plus.
On eut alors l'idée qu'il s'était trouvé mal.
On fit jouer le ressort, on le tira de sa lunette, on le mit sur ses pieds.
Il s'affaissa sur lui-même.
Comme on l'avait présumé, il était complètement évanoui.
On lui fit respirer des sels, on lui jeta de l'eau glacée au visage ; enfin, à la grande satisfaction des spectateurs, il rouvrit les yeux.
Son premier mouvement, en revenant à lui, fut de porter ses mains à sa tête. En sentant qu'elle était encore sur ses épaules, il poussa un cri de joie, et, sans réclamer son chapeau, qui l'attend toujours, il s'élança hors des murs de madame Tussaud.

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